CHAPITRE IX
Shedao Shai se retourna en entendant le cri rauque. Un humain dépenaillé jaillit de la colonne d’esclaves. Les yeux de l’homme barbu brillaient de colère et son visage portait les excroissances coralliennes.
Brandissant un morceau de permabéton, il se jeta sur le chef yuuzhan vong.
Deux guerriers firent mine de s’interposer, mais Shedao le leur interdit. Vêtu de son armure en crabe vonduun, son tsaisi – le bâton insigne de son rang –, enroulé autour de son bras droit, il ne craignait rien.
D’un mouvement vif de la main droite, il saisit l’esclave à la gorge et le força à lâcher son arme improvisée.
L’homme lui agrippa la main. Ses yeux s’écarquillèrent quand le tsaisi siffla et se dressa pour frapper. Incapable de parler, la gorge presque écrasée, l’esclave jeta un regard de défi au Yuuzhan Vong, comme s’il exigeait d’être exécuté.
Il aurait suffi à Shedao de refermer la main pour écraser la trachée de l’humain.
Il le repoussa vers les gardes-chiourmes.
— Emmenez-le aux prêtres. S’il survit, il nous sera utile. Et demandez-leur aussi un programme de méditation pour les soldats négligents…
Les soldats saisirent l’esclave par les bras, s’inclinèrent et partirent.
Deign Lian, le second de Shedao Shai, vint se placer à un demi-pas derrière lui, comme le voulait la coutume.
— Etait-ce avisé, maître ?
— Plus que douter de mon jugement en pleine rue ! Les guerriers reviendront châtiés, éclairés, et plus avides encore de faire leur devoir.
— Je ne parlais pas de ça, commandant, mais d’avoir envoyé l’esclave avec eux. Il a tenté de vous assassiner. Les autres considéreront sa survie comme une invitation à essayer de nouveau.
Shedao Shai reprit son inspection de la rue de Dubrillion, conscient qu’une absence de réponse en dirait plus long à son subordonné qu’une réprimande.
Les destructions consécutives à la conquête de la planète n’étaient pas irrémédiables. Les esclaves nettoyaient les décombres. Bientôt, on leur apprendrait comment utiliser les gricha pour réparer les dégâts mineurs, en attendant que des gragricha puissent être amenés pour bâtir de véritables habitations yuuzhan vong.
— Deign Domaine Lian, vous parlez comme si vous étiez sûr que l’esclave survivra à l'« apprentissage ». Je l’ai choisi parce qu’il avait du courage ; il n’a pas reculé devant la douleur. De plus, il voulait que je le tue. Il a mesuré son insignifiance. Notre intervention lui donnera un sens nouveau de sa position. C’est un réceptacle prêt à recevoir la vérité universelle. S’il est capable d’assimiler ce qu’il apprendra, il nous sera très utile.
— Je comprends, commandant Shedao Domaine Shai, dit Deign, inclinant la tête.
Enoncer le titre complet de Shedao indiquait qu’il reconnaissait son statut de subordonné. Shedao n’ignorait pas que cette soumission était consentie à contrecœur.
Le Domaine Lian souhaitait retrouver ses jours de gloire, et Deign était sa meilleure chance d’y parvenir.
Shedao savait que son second était comme un bâton de guerre sauvage, prêt à le mordre au moment où il s’y attendrait le moins.
— Mais peut-être ne comprenez-vous pas qu’en dépit du travail de nos agents, par exemple Nom Anor, nous ne connaissons pas assez notre ennemi. La Nouvelle République a une façon bizarre de considérer la guerre.
— Ce sont des lâches, commandant.
— Emettre un tel jugement, c’est nier qu’il nous reste beaucoup à apprendre sur eux. Etre éclairé sur l’adversaire est essentiel pour gagner. Nous avons besoin d’en savoir plus sur les infidèles.
Shedao Shai ne prêta pas attention aux commentaires flatteurs de son subordonné. La Nouvelle République l’intriguait. L’analyse succincte de Nom Anor avait permis de choisir le couloir d’invasion : la frontière avec les Vestiges de l’Empire.
Les Vestiges n’avaient pas réagi à l’attaque, libérant les forces que Shedao Shai avait mises en réserve pour se garantir contre cette possibilité.
La Nouvelle République n’avait toujours pas répliqué, ce qui intriguait le commandant yuuzhan vong. Peut-être ne voulait-elle pas d’une nouvelle guerre. Pourtant, la résistance des esclaves prouvait que ces gens étaient capables d’une conduite martiale.
Il en déduisait que la non-réponse à l’invasion était apparente.
Certes, de tous les mondes conquis, seul Dubrillion avait de l’importance. Les autres étaient peu peuplés et pratiquement inexploités. Garqi, dont Krag Val était chargé de superviser l’occupation et la transformation, produisait beaucoup de denrées alimentaires. Mais sa perte serait compensée sans mal, car nombre de ces denrées étaient des produits de luxe destinés à l’élite, pas à nourrir les masses.
Shedao Shai ne comptait pas la destruction de la base yuuzhan vong d’Helska 4, parce qu’il s’agissait d’une opération de la Garde Prétorienne yuuzhan vong.
Quand les politiciens se mêlent de jouer les guerriers, on peut s’attendre à des désastres. Et l’inverse est vrai aussi, pensa-t-il en regardant son second.
Shedao Shai trouvait ses ennemis admirables, à leur manière. Certes, ils étaient corrompus et faibles et se reposaient sur des abominations mécaniques, preuve de leur corruption morale. Mais ils savaient se servir de leurs outils, et cet aspect-là impressionnait Shedao.
La bataille de Dantooine avait aussi montré qu’ils étaient des combattants redoutables. Le Domaine Lian avait perdu quatre guerriers contre des jeedai sur Dantooine, et le Domaine Shai deux sur Bimmiel, contre ces mêmes jeedai.
Shai se demanda si la réticence de ses ennemis à attaquer venait du problème qu’il rencontrait aussi : la Nouvelle République ne connaissait pas assez les Yuuzhan Vong pour décider d’une stratégie.
S’ils ont besoin de renseignements, ils infiltreront des agents sur les mondes conquis. Ils ont exploré Belkadan et savent certainement que nous y faisons pousser des coraux skippers. Qu’ont-ils appris d’autre ?
Shedao entra dans le bâtiment où était son bureau. Les lignes abruptes, industrielles, de la bâtisse le contrariaient. Sa seule qualité, aux yeux du commandant yuuzhan vong, venait de sa raison d’être. L’aquarium de Dubrillion contenait des réservoirs en transpacier grouillant de vie marine. Au centre, une colonne emplie d’eau hébergeait des poissons colorés et des grands requins émeraude.
Il monta les marches. De l’autre côté de la colonne centrale, distordues par l’eau, il aperçut trois silhouettes.
Deux étaient des guerriers de son peuple.
La troisième…
Il contourna la colonne d’eau et vit une créature à la fourrure dorée.
Assise en tailleur, les mains posées sur les genoux, elle se tenait très droite. Des rayures pourpres partaient du coin de ses yeux et descendaient sur ses épaules. Elle était vêtue d’un pagne pourpre retenu par une ceinture dorée.
A l’arrivée de Shedao Shai, l’être se leva avec grâce. Les gardes mirent un instant à réagir.
Il leur a fait baisser leur garde… à cause de sa placidité apparente.
Cela faisait de la créature un ennemi potentiellement dangereux.
Le Yuuzhan Vong avança d’un pas assuré.
— Je suis le commandant Shedao Domaine Shai, dit-il, d’abord dans sa propre langue, puis dans l’idiome bizarre des natifs de la galaxie.
La créature le regarda de ses grands yeux violets avant d’articuler lentement :
— Je suis le sénateur Elegos A’Kla de la Nouvelle République. Je vous prie de m’excuser de ne pas connaître votre langue.
— Partez, dit Shedao aux gardes.
— Commandant ?
— Je n’ai rien à craindre de vous, Elegos ?
Le Caamasi montra ses mains ouvertes.
— Ma mission n’a pas la violence pour objectif.
Le Yuuzhan Vong hocha la tête.
Il n’a pas dit que je n’ai pas besoin d’avoir peur de lui, seulement que je ne dois pas craindre de violence de sa part. C’est une nuance que Deign est incapable de percevoir.
— Vous voyez, Deign ?
— Oui, commandant. Je pars.
— Attendez.
Shedao caressa le crabe vonduun qui lui servait de casque et de masque. La créature se détendant, il l’enleva de sa tête et secoua sa chevelure noire. Puis il tendit le casque à son second, visiblement choqué de voir son chef montrer son visage nu à un ennemi.
— Emportez mon casque dans ma cellule de contemplation et rapportez-nous des rafraîchissements. Hâtez-vous.
— Oui, commandant.
Shedao se tourna vers Elegos.
— Vous êtes arrivé dans un petit vaisseau, et vous avez utilisé un villip pour demander à être amené ici à bord d’un de nos navires. Pourquoi ?
— Vous considérez les machines comme des abominations. Je ne voulais pas vous offenser.
— J’apprécie ce respect de nos croyances. Et quel est le but de votre mission ?
— Promouvoir la compréhension. Essayer de déterminer si le chemin que suivent nos peuples respectifs est le seul possible, ou si nous pouvons en changer. J’étais sur Dantooine. Je n’aimerais pas revivre ça.
— J’ai examiné les résultats de l’opération Dantooine. J’étais aussi sur la planète que vous appelez Bimmiel. Beaucoup de choses séparent nos peuples et sembleraient parler contre la paix.
— Peut-être notre ignorance mutuelle nous condamne-t-elle au conflit. Je souhaiterais vous en apprendre plus sur mon peuple, et en savoir plus sur le vôtre.
Shedao sourit.
— Mesurez-vous vraiment ce que vous demandez ? Ce que vous suggérez ?
— Vous croyez que je l’ignore…
Le Yuuzhan Vong tendit le bras, déployant son tsaisi, qui se raidit et se transforma en lame.
— Je pourrais vous tuer. On me féliciterait, parce que vous utilisez des abominations. Selon les plus durs d’entre nous, il n’y a pas de rédemption possible pour ceux de votre espèce.
— Je le savais. Et je savais que ma vie serait en jeu si je venais ici. Cela ne m’a pas fait reculer.
— Remplir sa mission au péril de sa vie, voilà une chose que je comprends. Et que je respecte. J’imagine que ce que vous m’enseignerez ne comportera aucune information tactique.
— Je ne suis pas un tacticien et je n’y connais rien. Ce que j’apprendrai de vous ne sera pas tactique non plus.
— Mais le savoir est-il inutile ?
— Non, et voilà une autre chose sur laquelle nous sommes d’accord.
Shedao Shai acquiesça.
— Je vous prends sous ma protection. Nous nous comprendrons mutuellement.
— Et nous trouverons une nouvelle façon de nous rencontrer ?
— Peut-être. Vous verrez si c’est possible quand vous nous connaîtrez mieux.
Elegos croisa les mains dans le dos.
— Je suis prêt.
— Parfait. Commençons tout de suite. Suivez-moi ! Pour nous comprendre, il n’y a qu’une façon. Vous allez connaître l’Etreinte de la Douleur.